http://35mm-compact.com/forum/viewtopic ... 367#106826.
Pour re-situer le contexte, j'évoquais la nécessité de connaître les grands photographes pour progresser soi-même.
Je me suis peut-être mal exprimé... Il ne s'agit pas dans mon esprit de "s'inspirer de", mais d'éduquer son regard pour trouver sa propre voie, et éviter justement de refaire en moins bien, ce que d'autres ont fait avant, en mieux. C'est précisément le reproche que je faisais à certaines photos de Nicolas : une impression de déjà vu ailleurs, en mieux, ce qui fait qu'on ne s'y arrête pas. Les meilleures sont celles (à mon avis) où sa vision est plus personnelle et novatrice. Mais pour être novateur autrement que par hasard, on est obligé de connaître le passé, ne serait-ce que pour en faire table rase et s'en libérer.Oz a écrit :tout le monde ne souhaite pas s'inspirer des maitres de la photographie pour pouvoir faire de la photo, tout simplement parce que le problème est la : s'inspirer.
Je déteste l'idée de, c'est à ça que doit ressembler une belle photo.
Pour illustrer cette idée, une anecdote assez connue sur Beethoven :
Un de ses élèves lui dit :
- Maître, dans cette symphonie (sonate ou autre...) vous êtres passé de telle tonalité à telle autre, ça ne se fait pas ?
- Les règles sont faites pour être transgressées !
La semaine suivante, l'élève amène sa propre composition :
- Voyez, Maître, j'ai fait quelques entorses aux règles...
- Moi, je peux. Vous, pas ! tonne le vieux Ludwig (qui n'avait pas précisément bon caractère).
C'est ça que je voulais dire. Pour s'affranchir des règles, il faut les maîtriser. Pour les maîtriser, il faut les connaître. Pour les connaître, regarder le travail des autres et s'abreuver aux meilleures sources. C'est toute la différence, par exemple, entre une photo surex de Paolo Reversi, et une photo surexposée par erreur. Lui, sait ce qu'il fait, et pourquoi il le fait. Et si tu souhaites jouer de la surex, tu as tout intérêt à connaître Reversi, ne serait-ce que pour éviter de passer pour un c. en croyant avoir inventé le truc.
Je reprends mon parallèle avec la musique qui me semble plus explicite et parce que c'est aussi je pense une culture commune... Il n'y a pas un seul guitariste de jazz qui ne doive rien à Django Reinhardt, et le reconnaisse. Dont Henri Salvador. Ça n'a pas empêché Salvador de devenir Salvador, et de composer Syracuse qui n'a rien à voir avec Django. Les Stones sont devenus les Stones parce qu'avant eux, il y avait eu Chuck Berry et ils ont commencé (comme les Beatles) par jouer Johnny B. Goode et Roll over Beethoven. Mais ils sont les Stones, et Keith Richards est Keith Richards. Les Stones et les Beatles ont évolué chacun dans une voie différente. John Lennon a commencé réellement à écrire autre chose que des bluettes, quand il a découvert l'écriture de Dylan, qui lui même s'était construit à partir de plus anciens poètes et bluesmen, dont Rimbaud. Sans cette rencontre les Beatles auraient connu le même sort que les dizaines d'autres groupes de l'époque, aujourd'hui oubliés. Que penserais-tu d'un groupe de Rock qui dirait : "on ne connait pas les Beatles, ni les Stones, ni Dylan, on ne veut pas se faire influencer, nous on fait notre propre musique" ?
Ton idée, qu'on perdrait sa sincérité à étudier les maîtres, c'est la négation même de la notion de culture, de transmission, et même d'indépendance et de progrès. La culture, c'est précisément sur quoi on se construit, en même temps que le rempart contre tous les extrémismes, impostures, médiocrités et tentatives de normalisation.
La culture photographique, c'est aussi ce qui permet de ne pas s'extasier devant le premier âne coiffé qui met de la vaseline sur son objectif pour faire "créatif", ou expose une photo vide, mais avec deux pages d'explications sur ses intentions métaphysiques. De faire la différence entre un immense photographe humaniste (allez, au hasard, Sebastiao Salgado...) et un simple marchand d'images fussent-elles en couleur, grand format et vues du ciel.
Connaître Claude Batho ou Bernard Plossu, c'est aussi apprendre à voir la beauté dans le quotidien... Et percevoir à défaut de comprendre pourquoi, que lorsque Claude Batho photographie des patates dans l'évier, ça "fonctionne", alors que bien souvent nous autres avons les pire difficultés à produire quelque chose d'intéressant, à partir de paysages magnifiques ou de ravissantes demoiselles dénudées... Depuis des décennies Denis Brihat ne photographie que des végétaux, oignons, tulipes... Et c'est magique. Peut-être parce que ce sont des gens qui ont su sortir des sentiers battus et trouver leur voie ?
Je ne parle pas de "copier"... Du sous-Sieff, du sous-Doisneau, du sous-HCB, il y en a plein les revues de photo amateur, justement... Des groupes qui ne vont pas plus loin que reprendre Johnny B. Goode ou Satisfaction il y en a aussi... Ça peut être une étape dans son évolution personnelle, pas forcément consciente, mais ce n'est évidemment pas le but, et ça ne trompe personne. Le photographe curieux, exigeant, qui est dans une vraie démarche de création, c'est celui qui monte sur les épaules de ces géants, pour voir plus loin. Mais on peut choisir aussi, de rester au sol : c'est un choix. Alors on lit Chasseur d'Images et on passe son temps à compter des lignes de mire sur un négatif développé dans telle soupe. Mais la photo pour moi c'est pas ça !
On ne nait pas doué et génial comme ça... L'art c'est 10% d'inspiration, 90% de transpiration. Le génie, c'est quand ces 90% ne se voient plus, et que ça semble couler de source, naturel et spontané. Des photos comme ça si on en réussit 5 dans sa vie, on n'a pas vécu pour rien.
"Aujourd'hui je suis ce que je suis
Nous sommes qui nous sommes
Et tout ça c'est la somme
Du pollen dont on s'est nourri" (Pierre Barouh)