Mr Luttke Edouard Gustav Adolph est né le 07 février 1924, sa mère est décédée très tôt, son père était syndicaliste ouvrier, ancien de la première guerre.

Il entra dans les jeunesses Hitlérienne à 10 ans, où il travailla dur dans les fermes, appris le maniement des armes mais surtout l’amour et le respect d’ « Adolph ». A 16 ans il part se battre en Pologne, ainsi que son frère de 15 ans, mêlé aux anciens de 14-18. Il est rapidement blessé et rentre alors en Allemagne où il se remet en peu de temps de sa blessure.
A 17 ans il est recruté pour combattre dans les sous marins. Son équipage, composé d’une cinquantaine d’homme, a une moyenne d’âge de 20 ans, le commandant n’en a que 25 ans ! Ils partent alors combattre en Norvège de 40 à 42, « la grande bataille de Narwik » où ils torpillent les navires ennemis. De son poste il ne voit ni sang ni explosion, il me décrit son poste de combat comme un poste technique : il faut 10 à 15 minutes pour charger et envoyer une torpille, tout le monde est concentré sur le travail. Du travail méthodique.

Ce fut une grande période pour lui, durant laquelle ils coulèrent de nombreux navires, « nous étions les héros ».
Le stress et la terreur n’avaient pas lieu lorsqu’ils combattaient mais lorsqu’ils se faisaient bombarder (les sous marins ne pouvaient plonger bien profond et ne permettaient pas une protection satisfaisante) plus personne ne parlaient, le bruit était assourdissant et il n’y avait pas grand-chose à faire en dehors de plonger plus profondément , au risque de faire exploser le sous marin. Alors qu’il m’évoque ces moments je lis une ombre de peur refaire surface sur son visage.
La Norvège s’est terminée pour lui avec le torpillage de son sous marin, il s’en est tiré in extremis grâce au sauvetage par un navire allemand.
Il fut alors remobilisé à bord d’un autre sous marin pour combattre en mer du Nord, un problème technique les empêcha un jour de plonger. Voyant un navire Anglais approcher ils hissèrent un drapeau blanc et furent tout de même copieusement mitraillé par les Anglais qui massacrèrent une partie de l’équipage, « notre drapeau blanc devient rouge avant qu’ils n’arrêtent ».

Durant ce temps son père perdit l’usage d’une jambe sur le front Russe, il connut les horreurs des combats de Breslau et vit, avec sa fille de 14 ans, les horreurs perpétrés par l’armée Russe, me raconte t’il : massacre de civils, viols des fillettes, torture en tout genre….sa sœur fut bien plus traumatisée que lui par la guerre.
De son côté, prisonnier par les Anglais, il resta en Angleterre plusieurs mois avant d’être livré aux Américains, en Allemagne. Il se retrouva finalement parqué durant 3 semaines à Chartres ou il me dit avoir vécu dans des conditions terribles, sans nourriture, dehors, dans des trous creusés dans la boue, par un froid hivernal.
C’est finalement de cet épisode dont il garde le plus mauvais souvenir. Au bout de trois semaines il fut envoyé comme prisonnier travailleur dans les mines de Bruay, dans le nord de la France. Au bout d’un an et demi il obtenu le statut de travailleur libre avec la possibilité de retourner dans son pays ou bien de rester en France comme travailleur libre, ce qu’il fit. Quelques temps après, il épousa une jeune Francaise. « De ces deux misères associées naquirent un amour » me dit sa femme.

Il travailla ensuite comme mineur de fond jusqu’à la retraite, une carrière difficile marqué par un accident grave qui manqua de le laisser invalide le restant de ces jours.
Après le récit de son histoire je l’interroge sur le regard qu’il porte, aujourd’hui, sur le nazisme et l’histoire de son peuple. Naïvement je m’attendais à une critique sans concession mais au lieu de cela je m’aperçois qu’il garde une espèce de tendresse pour celui qu’il appelle « Adolph ». Une curieuse cécité psychologique lui fait expliquer que le génocide juif ce n’était pas « Adolph » mais Himler, qui était le vrai salaud. Et de toute façon les soldats Allemands n’étaient pas au courant des exterminations... « et puis quand même, vous, les Français vous avez bien aidé pour ce qui est d’éliminer les juifs »….Pour Mr Luttke les seuls vrais erreurs d’« Adolph » furent de rompre le pacte de non agression avec les Russes et bien sur d’avoir perdu la guerre.
Nous revenons ensuite sur ces années de jeunesses Hitlériennes, j’ai alors le sentiment que ce furent les plus belles années de son existence. Ayant perdu sa mère très jeune il connut jusqu’à 10 ans des années difficiles, rejetant sa belle mère. Entre 10 et 16 ans, embrigadé, il connut un esprit de camaraderie et un endoctrinement rassurant : l’amour de la patrie, la fierté Aryenne, l’ordre, le travail. En l’écoutant je comprends mieux son attachement à Hitler et l’espèce d’affection qui perdure depuis. Cela me fait peur, ce témoignage montre comment nous pouvons abandonner la liberté lorsqu’on nous offre le sentiment de sécurité et de fierté nationale. Nous ne sommes pas réellement attaché à la liberté, tout ce qui se passe actuellement dans notre société me fait d’ailleurs penser la même chose, ces quelques réflexions m’évitent de porter un quelconque jugement moral sur Mr Luttke.

La citation du carton, posée sur la table pendant ce récit me parait étrange, décalée par rapport à la teneur de notre conversation. Elle est posée là par sa femme, protestante très pieuse. Lui ne croit plus en Dieu, après tout ce qu'il a vu. Mais il semble encore croire en la bienveillance d'Hitler envers son peuple !
Mr Luttke a eu la gentillesse de m’évoquer, durant une heure et demi, sa vie. Il a fait preuve à mon égard d’une grande confiance et m’a autorisé à partager à mon tour son récit et ses photos.