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Quartier , de Philippe Claudel, un regard de photographe?

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Georgesh
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Quartier , de Philippe Claudel, un regard de photographe?

Message par Georgesh »

Philippe Claudel, romancier, scénariste, (les âmes grises, la petite fille de monsieur Linh, le rapport de Brodeck...) vient de publier aux éditions La Dragonne une chronique, Quartier, sur un quartier attachant de Nancy, entre la Meurthe et le canal de la Marne au Rhin.
C' est un quartier que je connais bien, où j' ai habité,et où je vais trainer à l' occasion, pour saisir ce qu' on peut encore en saisir, et qui s' échappe en courant à toutes jambes. Un domaine passionnant pour un photographe, avec ses anciens sites industriels, ses rues un peu oubliées, et surtout une vie ouvrière qui s' est installée là autour d' un canal, d' une voie ferrée, et de grands entrepôts. Un sujet très graphique, avec des réalisations architecturales qui vont de la fin des années 1870, date de l' arrivée des industriels quittant l' Alsace-Moselle annexée, aux années 50, avec ses paysages urbains à la Tardi.
Philippe Claudel a une démarche très photographique . D' ailleurs sa chronique est illustrée de photos en noir et blanc, celles de Richard Bato.
Philippe Claudel, en exergue de son ouvrage, cite Jim morrison. ( le fondateur des Doors ). The streets are fields that never die.

Et il s' aventure entre rivière et canal, dans des marches familières, qui sont aussi prétextes à tourner autour de soi, et à aller à la rencontre de l' humain.
Des petites anecdotes, de petits détails, dans un tissu humain fait de petits riens. On évoquerait sans peine Gens de peu, de Pierre Sansot, le sociologue des gens simples. Au coin d'une rue, un café, pour y rencontrer le quotidien, et ses personnages hauts en couleur. Au détour d' une promenade sur les berges du canal, un marinier un peu plus bavard ou un pêcheur , un portrait, une gueule. Une chronique, à petites touches, impressions fugitives, comme au petit bonheur de déclenchements qui seraient le fruit du hasard, mais pas du tout le résultat d' une errance. La démarche est construite, le fil rouge du synopsis bien présent.

Philippe Claudel a , semble-t-il une sympathie particulière pour les bistros, et tous les journaliers du quotidien qui y font un passage obligé. Sa grand-mère, a, je crois bien tenu à Dombasle une guinguette au bord de l' eau. Dombasle, c' est aussi au bord du canal de la Marne au Rhin, avec son usine Solvay qui traite la soude , et crache , mais il ne faut pas le dire, des fumées d' une drôle de couleur, et des pluies acides au sourire caustique . Une ville ouvrière où Claudel a ses racines. Encore un beau sujet pour un photographe. Et puis Dombasle, c' est le lieu choisi par Claudel pour le tournage des âmes grises.

Alors, quand il publie Quartier, on regrette qu' il n' ait pas emporté son boitier télémètrique avec lui. Tout y est, l' approche des gens, la rencontre, le dialogue; Et l' évocation d' une vie simple. Simple, mais riche de sens. Simple, mais qui disparait . Qui a fait son temps.

Philippe Claudel est un nostalgique. Dans sa promenade au bord de l'eau, il s' essaye à figer le temps qui passe. Dur combat. C' est oublier l' ambitieuse rénovation du quartier, le travail sournois des bulldozers , les agents immobiliers à l' affut, les bobos dans leur course au loft. Tout fout le camp , mon bon monsieur. Le temps des péniches et des minotiers est révolu. Les résidences de luxe s' installent derrière les façades années 30.

The streets are fields that never die. Voire. Il est temps. La chronique pourrait bientôt s' écrire à l' imparfait. En tout cas, Philippe Claudel, en brossant ses touches d'humanité avec bienveillance, donne envie de poser ces instants de rencontre sur de la pellicule. Une démarche de l' écriture, un travail de photographe. Avant qu' on ne chante " C'est du passé , n' en parlons plus!"

Quartier, Philippe Claudel, photographies de Richard Bato
chronique
éditions La Dragonne, septembre 2007, 70 pages, 15€
Modifié en dernier par Georgesh le dimanche 07 octobre 2007 10:34, modifié 1 fois.
TheMaxou
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par TheMaxou »

Depuis trois semaines, la lumière est superbe le soir en sortant du boulot : Une lumière chaude et rasante qui se reflète sur les pierres des immeubles, dans la cime des arbres, dans le lit des canaux...

Cette petite présentation donne envie d'aller traîner ses guêtres dans les quartiers populaires de chacune de nos villes, où l'histoire a laissé une trace profonde... Ces quartiers dont la mémoire est effacée par une vague effrénée de restructuration urbaine qui emporte tout sur son passage et fait fuir ses chaleureux habitants.

On a envie de sortir, appareil en bandoulière, afin d'aller capter cette vie qui s'échappe : Je pense à Paris, au canal de la Villette (à sa vie, à ses entrepôts) avant que la boboïsation le perde, je pense au quartier de Charonne, jadis remplit de maison au façade en bois et d'ouvriers travaillant dans les carrières, à ses rades et ses noms fleuris, je pense aux guinguettes du bord de Marne qui disparaissent ou se transforment en restaurant sans âme et aux prix démentiels, je pense à ces villes comme Bilbao où l'âme ouvrière est effacée sous vague de modernisme... Je pense à tous ces quartiers où l'histoire ne pèse pas lourd.

Dans ces quartiers, il y a des sujets et de la matière pour tous les goûts.



PS : La petite fille de monsieur Linh de Philippe Claudel est un livre poignant dont je recommande chaudement la lecture. :D
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Georgesh
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par Georgesh »

L'écrivain , avec ses mots, laisse sur le papier des impressions que le photographe laissera sur la pellicule. Les démarches se ressemblent, elles sont une rencontre de l'humain, un intérêt porté à l'autre, pas à soi.
Modifié en dernier par Georgesh le mercredi 26 septembre 2007 13:24, modifié 1 fois.
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par tErU »

Georgesh a écrit :L'écrivain , avec ses mots, laisse sur le papier des impressions que le photographe laissera sur la pellicule. Les démarches se ressemblent, elles sont une rencontre de l'humain, un intérêt porté à l'autre, pas à soi.
soi est humain lui aussi. c'est meme tout ce qu'il y a de plus humain non ?
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Georgesh
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par Georgesh »

:D Oui, c' est d' accord, mais c'est pas la peine d' aller dans un quartier particulier, dans un décor urbain, avec sa vie , ses habitants, ses métiers , pour traiter de soi-humain.
Oui, c' est d' accord, il y a même des écrivains qui se prennent eux-mêmes comme personnage central de leur roman. Mis à part l' autobiographie, qui est un genre littéraire particulier, je pense à l'autofiction, apparue vers 1950, une littérature de soi, sur soi, compréhensible, avec une attention portée plus à soi-même qu' au monde extérieur.
Hors de l'écrit, dans la palabre, dans les formes d' expression poétiques dont le slam, fait partie, il y a beaucoup d' expression de soi. Légitime, c' est sûr.

Mais pour revenir à cette écriture d' un quartier, le sujet, c' est d' abord les autres, même si ça passe par des sensations personnelles. Il y a dans cette chronique des rencontres, même si l' autre n' est qu'un miroir.
Je n' imagine pas un écrivain comme Philippe Claudel écrire, et illustrer ses lignes par des autoportraits.
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par tErU »

Georgesh a écrit ::D Oui, c' est d' accord, mais c'est pas la peine d' aller dans un quartier particulier, dans un décor urbain, avec sa vie , ses habitants, ses métiers , pour traiter de soi-humain.
Oui, c' est d' accord, il y a même des écrivains qui se prennent eux-mêmes comme personnage central de leur roman. Mis à part l' autobiographie, qui est un genre littéraire particulier, je pense à l'autofiction, apparue vers 1950, une littérature de soi, sur soi, compréhensible, avec une attention portée plus à soi-même qu' au monde extérieur.
Hors de l'écrit, dans la palabre, dans les formes d' expression poétiques dont le slam, fait partie, il y a beaucoup d' expression de soi. Légitime, c' est sûr.

Mais pour revenir à cette écriture d' un quartier, le sujet, c' est d' abord les autres, même si ça passe par des sensations personnelles. Il y a dans cette chronique des rencontres, même si l' autre n' est qu'un miroir.
Je n' imagine pas un écrivain comme Philippe Claudel écrire, et illustrer ses lignes par des autoportraits.
yep. je vois.

ca me fais penser, ta reflexion, à un autre ouvrage, Street Corner Society, de White.
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Georgesh
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par Georgesh »

:D Soi est humain, mais n'est pas au programme de la chronique de Claudel, en tout cas, pas au premier degré de lecture.
Par contre, beaucoup montent sur scène pour eux-même. Prends Tony Parker. D'abord, il intitule son album Tony Parker. Au moins, c'est clair. Ma famille, Premier love, c' est bien parler de soi.
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par TheMaxou »

C'est une mode. On s'intéresse plus à soi, à son confort, à ses fringues, à son look ! On est en pleine période de la gloire à tout prix, de la célébrité facile, de l'argent qui te permet d'être quelqu'un...

S'enrichir au contact des autres signifie aussi donner. Et on ne donne pas beaucoup en ce moment...
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par tErU »

TheMaxou a écrit :C'est une mode. On s'intéresse plus à soi, à son confort, à ses fringues, à son look ! On est en pleine période de la gloire à tout prix, de la célébrité facile, de l'argent qui te permet d'être quelqu'un...

S'enrichir au contact des autres signifie aussi donner. Et on ne donne pas beaucoup en ce moment...
faut differencier soi et ego dans cette histoire quand meme ;).

Georgesh, par pitié... ne me parle plus jamais de Tony Parker pour autre chose que du basket ;).
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Georgesh
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par Georgesh »

tErU a écrit : Street Corner Society, de White.
Une simple rencontre, sans l' ambition annoncée de White d'écrire un livre, sans vraiment une méthode d' observation participante, autre chose que de la sociologie, une promenade en terrain familier, une chronique impressionniste, et un jeu de regards. Faut lire, et se voir photographe. La chronique est une méthode, oui, mais une méthode pour le photographe, une façon de regarder.
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Re: Quartier , de Philippe Claudel

Message par tErU »

Georgesh a écrit :
tErU a écrit : Street Corner Society, de White.
Une simple rencontre, sans l' ambition annoncée de White d'écrire un livre, sans vraiment une méthode d' observation participante, autre chose que de la sociologie, une promenade en terrain familier, une chronique impressionniste, et un jeu de regards. Faut lire, et se voir photographe. La chronique est une méthode, oui, mais une méthode pour le photographe, une façon de regarder.
:D
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Les portraits de Claudel

Message par Georgesh »

J' aime bien Philippe Claudel. Pour moi, c' est aussi un portraitiste.

Quelques lignes qui pourraient vous donner le goût de le lire, et de le découvrir en photographe.
Dans Au revoir, monsieur Friant, Philippe Claudel évoque sa jeunesse. "Une partie de mon enfance, dit l'auteur, se passe chez ma grand-mère, au bord du canal, chemin liquide sans drames ni grands éclats". On y rencontre, dans une surprenante juxtaposition de portraits, toutes les facettes de la Comédie Humaine. "J' entrepose des portraits " dit Claudel, en analysant l'âme humaine. Ni blanc, ni noir, c' est gris. une large gamme de gris, inspirée peut-être par la palette d' Emile Friant. une restitution neutre, dans une langue modeste, de fragments de vie. Dans les paysages du romancier, on voit défiler beaucoup d' ombres, familières comme le soir qui tombe. entre le bien et le mal, entre la chute et la lumière, à la frontière ô combien ténue entre mensonge et vérité.
Ou entre roman et vérité. Oui, si proche de la vérité.
Quand , vers le 2 décembre 1914, après les durs combats qui ensanglantèrent la colline du Léomont, à une portée de fusil de Dombasle, une jeune institutrice lunévilloise vient se rendre compte du gâchis et contempler le champ de bataille, elle pourrait entrer dans Les âmes grises et s' adosser à un mirabellier.
Quand à un jet de pierres de Dombasle, un jeune photographe d' Einville, mi-quincaillier, mi-mécanicien pour cycles voit passer dans les chaleurs de juillet 1914 un groupe de garçons d' Arracourt, venus, ordre de mobilisation en main rejoindre leur caserne pour faire leur devoir, il sort sa chambre 13 X 18 pour immortaliser l'événement. Est-il ce photographe présent dans Les petites mécaniques? celui que fait venir Hyppolite Framottet un jour d' anniversaire, pour fixer sur la plaque sensible l' image de son dernier jouet.
Au fond, Claudel vit ses souvenirs d' enfants et arpente pour ses lecteurs un monde de personnages rudes, simples, avec leurs défauts et leurs " coups de gueules". Pas trop tranquilles, un peu cachotiers, assez mystérieux, faibles, fragiles, malhabiles.
Mais combien humains, généreux, vivants, joyeux.
" Comme vous, comme moi, comme nous ", insiste le portraitiste. "Dans un roman, on montre ce qu' on est, et non ce qu' on veut être, ajoute-t-il pour évoquer cette part d' autobiographie. J' avance sur les lignes comme sur les routes d'un paysage familier et pourtant inconnu ". Avec un regard fraternel et sans jugement. Avec, " posées sur une étagère de souvenirs, Trois petites histoires de jouets . Nous sommes de bien petites mécaniques, égarées par les infinis ". C' est du Pascal.

Rien à voir avec la photo, tout ça?
TheMaxou
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Re: Quartier , de Philippe Claudel, un regard de photographe

Message par TheMaxou »

C'est fou tous les liens qui existent entre le romancier et le photographe. Je retrouve ce que j'ai envie de faire vivre à travers mes photos : Un quartier, son âme, ses habitants, ses sons, ses odeurs, ses joies ou ses peines.

Les démarches sont tellement similaires. Ecriture à l'encre ou écriture de la lumière, le travail de l'écrivain et du photographe se croise et s'entrecroise :D
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