Je découvre ce fil, fort intéressant....et je me permets d'exhumer un très vieux topic pour cette raison.
J'espère uqe vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Je me permets juste de réagir sur l'idée de "l'instant décisif", opposée à la mise en scène, dont on parlait dans les messages précédents.
L'idée de "l'instant décisif", érigée en dogme par certains critiques, est ici remise en question, et de façon fort pertinente.
Si je peux me permettre, et je vais peut être m'attirer les foudres de certains (j'en suis désolé), je ne suis pas sûr qu'il y ait vraiment une opposition stricte entre cette idée d'instant décisif et celle de la "mise en scène".
Bon, le boulet rouge est lâché, je m'explique avant de me faire lapider:
Je ne vois pas la photo comme une capture d'une scène réelle, mais comme une représentation de cette scène.
Je veux dire par là que la photo montre une vision choisie, parcellaire, partielle, d'une scène à un moment précis.
Il y a un "filtre" entre la réalité et ce que la photo en montre, je pense qu'on est d'accord.
C'est là, en grande partie, l'art du photographe.
On en revient à "l'instant décisif". A mon sens, c'est (peut être, je n'affirme rien) une forme de mise en scène comme une autre.
L'important, ce n'est pas qu'il y ait une part de pose, de mise en scène....l'important est (pour moi): cela se voit-il sur la photo?
Une mauvaise pose est une pose qui se voit, une bonne est celle qui donne l'impression de la spontanéité.
Partant de là, à la limite, qu'il y ait capture (véritable) d'un instant décisif, ou juste impression "d'instant décisif", ça n'a pas tellement de sens.
Le talent du photographe ne consisterait pas tant à avoir le regard précis à la seconde exacte (en gros, ce foutu dogme bobo snobinard qu'on nous rabâche jusqu'à la nausée), mais plutôt à faire en sorte qu'on le ressente comme tel.
ça peut sembler cynique, mais ce n'est pas le cas, au contraire! Ca requière du talent, du génie dans la composition.
Si je peux me permettre une petite comparaison avec un domaine que je connais mieux: la littérature.
La première fois qu'on lit Le Voyage au Bout de la Nuit, de Louis-Ferdinand Celine (peu importe le bonhomme, je parle de l'oeuvre), d'un point de vue du style, le génie de Céline tient en partie au fait qu'on a l'impression d'un texte pensé d'un bloc, sans retouches, fiévreux, une retranscription de la parole.
Or, quand on travaille sérieusement sur Celine plus de 5 minutes et passé ces impressions, on comprend qu'il y a un travail énorme de mise en scène, de retouches, pour justement donner cette impression de spontanéité: un brouillon de Céline, c'est presque pire qu'un brouillon de Flaubert. Mais Celine ne s'acharne pas à montrer une belle composition: il s'acharnait à masquer la composition.
Lui même le disait dans ses interviews: le travail (et son génie selon moi) consistait à planquer les raccords, les fils, les coutures, à masquer le travail, justement.
C'est le truquage qui donne une plus grande impression de réalité.
Dans une interview de 1957 (je crois), Celine disait que l'écriture était un filtre déformant, et donnait un exemple:
vous tenez un bâton, vous en mettez la moitié dans l'eau. (l'eau figure le filtre de l'écriture)
On dirait que ce bâton est tordu. Il sonne faux, si vous voulez.
Le travail de l'écrivain consiste à manipuler ce filtre pour redresser le bâton.....donner l'impression qu'il n'y a aucun filtre, justement!
Transposé à la photo, j'aurais tendance à dire que le génie du photographe ne consiste pas tant à saisir l'instant, mais seulement à savoir composer l'instant, à le retravailler si nécessaire, pour donner l'impression de n'être que l'observateur.
En gros, l'important ne serait pas de saisir l'instant mais à en donner l'impression, quitte à composer, à manipuler (rien de péjoratif là dedans, bien au contraire) si c'est pour aboutir à la bonne photo.
La photo n'est jamais neutre, elle serait un miroir déformant, le talent serait de déformer dans l'autre sens, pour masquer la déformation, en gros.
Pas taper, s'il vous plaît.
