J'aurais pu, j'aurais du poster cela dans Ô joie mais non ce n'est pas possible.
Cette hiver, j'ai enfin trouver le temps de mener un projet photographique que je poursuis depuis près de 20 ans: documenter les fronts des deux batailles d'Artois en 1914 et 1915. Plusieurs jours de prises de vues, 160 images prises que je suis en train d'éditer, des dizaines d'heures de documentation qui n'ont cessé de me plonger dans une horreur volontairement enfouie, dissimulée, tue puis oubliée, pour ne conserver vivace que le souvenir de la naissance de la Nation Canadienne sur les crêtes de Vimy dans le sacrifice de 66 000 de ses jeunes.
Et alors que défilent sur ma table lumineuse les tranchées et les tombes stigmates de ces batailles qui virent plus de 580 000 humains mourir pour "tenir" ou pour reprendre 3km, je ne peux m'empêcher de penser à cette guerre de tranchées d'aujourd'hui. Celle qui dure dans le bassin minier du Donbass depuis qu'en 2014 des chars ukrainiens foncèrent sur Donetsk attaquant leur propre population qui avaient pris le contrôle des mines et des usines, avant que l'engrenage terrible des Alliances et des près-carrés des grandes puissances , toute raison perdue ne déverse la mort à flot continu pour " tenir" ou pour "percer", chaque camp convaincu comme Foch de "grignoter" et de vaincre.
La paix ne se construit pas dans l'escalade de la Barbarie et l'écolier qui trouva une grenade canadienne dans sa cour de primaire que je suis, sait que les centaines de milliers de morts Français puis Canadiens ne permirent jamais de reprendre les puits de mines de Lens. Que la prise d'une route, d'une colline misérable ou d'un terril, c'est des dizaines de milliers d'orphelins et que seules les négociations de 1918 permirent la libération d'une ville entièrement détruite.
Ô rage, n'apprendrons-nous jamais à tirer les leçons du passé? la propagande de guerre mène au malheur et à la misère collective. Ouvrir des négociations plutôt que fermer des tombes et transformer des millions d'honnêtes hommes en tueurs, est-ce si difficile?
Voici une image de l'Anneau de mémoire sur le plateau de Lorette ou sont morts plus de 150 000 soldats français et un nombre estimé comparable de prussiens. Personne ne peut dire comme en 14 que nous ne savons pas vers où tout cela mène.
cendrars by
lesitedetilu, sur Flickr
Pourquoi construire un tel monument censé célébrer la paix si c'est pour marcher à la guerre un peu plus tous les jours sous les vivats de télévision gourmandes de carnage?
Blaise Cendrars, engagé dans la légion étrangère (Division marocaine) prit part à l'attaque de la côte 145 sur Vimy qui vit l'Armée française percer pour la première fois la ligne allemande en 1915. Cette percée héroïque mais inexploitable fera la réputation d'un certain Pétain qui y gagnera la réputation le menant à Verdun puis au destin que chacun lui connait.
Cendrars raconte dans le petit livre "J'ai tué" le parcours inéluctable qui transforme une civilisation en machine de guerre, et un jeune poète en tueur au couteau. Le nom de l'Allemand qu'il a égorgé est nécessairement l'un des 580 000 gravés sur l'Anneau de Mémoire.
Je sais que cette réflexion est personnelle et que tous ne la partagerons pas (Voila pourquoi elle est déposée ici), mais à quoi bon faire des images si elles ne parlent pas et ne permettent pas d'exprimer émotions et réflexions. Afin de régler les différents dans le dialogue et la créativité plutôt que dans la violence...