La polysémie de "grues" levée par l'image:
Le marin-laboureur reprenant la parole :
Les froids vont arriver, dit-il, car les grues volent.
J'en ai vu ce matin un groupe qui filait
Vers le Sud et pareil au flexueux filet.
Je vous dirai pourquoi ce groupe prend la forme
D'une traîne bercée par l'Océan énorme.
La grue est un oiseau constamment affamé,
D'intelligence courte et de pied allongé.
Pour faire son repas d'un poisson négligeable
Elle reste debout des heures sur le sable.
Le merle un jour lui dit : Que je te plains, ma sœur !
On ne peut plus que toi être un mauvais pêcheur.
N'observas-tu jamais durant tes randonnées
Les habiles traqueurs des Méditerranées ?
Et la grue se souvint alors de ces rets longs
Que du liège soutient et qu'entraînent des plombs.
Mais elle n'avait vu que la corde et les lièges
Flottants à la surface et non le bas du piège.
Et naïve elle crut que cela suffirait
De faire avec ses sœurs le câble du filet.
Depuis lors on les voit aux mers célestes tendre
Le projet d'un réseau où rien ne se fait prendre.
Francis Jammes,
Les Géorgiques chrétiennes, 1914, Chant VI, p. 171