Lomig Perrotin produit des films (formats 35 mm et 120) dont l’émulsion est couchée sur une bande de papier washi au lieu de la traditionnelle bande de triacétate ou PET.
Il utilise deux qualités différentes de washi : celui fait à partir du mûrier « kozo » pour le film W et celui fait à partir d’une plante appelée « ganpi » pour le V. Ces deux matériaux sont très différents d’aspect et donnent des rendus également très différents.
Aspect artistique
Le film Washi W (le premier chronologiquement) donne des images très fibrées où les détails sont perdus dans le réseau des fibres et dont on peut penser qu’elles ne sont pas exigeantes en termes de mise au point.
Exemple :
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Le Washi V donne des images plus fines, plus réalistes. On y perçoit un léger tramage rectiligne qui est dans le sens de défilement du film ; il en résulte que si l’appareil a été incliné à la prise de vue et qu’on redresse l’image par la suite le tramage devenu oblique peut déranger.
Exemple :
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Le choix entre ces deux rendus est une affaire toute personnelle mais tiendra compte évidemment des aspects techniques discutés ci-après.
Caractéristiques
Le Washi W a une sensibilité qui peine à atteindre 25 ISO : pour l’atteindre, il faut développer dans un révélateur papier très énergique comme l’Eukobrom à 1+1. Il est orthochromatique, ce qui signifie qu’on le développe en cuve ouverte sous lumière rouge.
Le Washi V a une sensibilité qui dépend évidemment du processus de développement et que Lomig Perrotin situe à 100 ISO avec du Rodinal 1+25. Il est panchromatique et nécessite un développement en cuve fermée. Pour ma part un essai à 100 ISO et avec Rodinal 1+25 fait apparaître des densités très fortes et mon prochain essai sera à 125 ISO.
Tous deux existent en 35 mm perforé et en 120 ; il est précisé que le film 35 mm ne doit pas être utilisé dans des appareils trop brutaux (motorisés p.ex.) et Lomig Perrotin donne sur son site une liste d'appareils compatibles ou déconseillés.
Traitement
Pour les deux films on trouve sur le site « film washi » des notices techniques à lire attentivement. Ce qui suit résulte de mon expérience personnelle.
Pour le Washi W, le développement en cuvette nécessite un geste précis et maîtrisé ; l’idéal serait d’utiliser une cuvette à cylindre comme celles qu’utilisaient les photographes amateurs des années 30-40. On développe comme si c’était un papier photo, on s’interdit le bain d’arrêt et on fixe longuement (bien observer) sous peine de trouver ensuite des zones blanchâtres qui sont de la gélatine non impressionnée et insuffisamment fixée parce que localement trop épaisse.
Pour le Washi V, il vous faut sortir la cuve Paterson ou Jobo. L’introduction dans une spirale classique est impossible, le washi n’a pas assez de « nerf » pour cela et les spires successives se colleraient dès que mouillées. Lomig Perrotin vous propose une bobine spéciale où les spires de film sont séparées par une bande à bords gaufrés comme on n’en fait plus et que lui obtient par une astuce intéressante et qui vous donnera un peu de travail pour en finir le montage. Attention, la bobine elle-même est très fragile ! Comme je le disais, j’ai utilisé le Rodinal à 1+25, 9 mn à 20°C, agitation continue pendant une minute puis 7 inversions par minute ; il en ressort un négatif très dense. Un deuxième film a été développé en Rodinal 1+25, 7 mn 1/2 à 22°C, agitation 30 s puis 10 s toutes les 30 s en utilisant la "touillette" Patrerson : même constatation, une belle densité mais ça semble plus équilibré que le premier.
Mise en garde : faites vos agitations ou inversions avec des gestes très doux, le simili-gaufrage de la bande intercalaire a tendance à arracher la gélatine mouillée, et comme le centrage transversal des images est très incertain vous pouvez retrouver ces arrachements dans votre image ; ce n’est pas grave, on recadre plus tard, mais deux films successifs me montrent que c'est impossible à éviter.
Pas de bain d’arrêt là également. La suite est classique, fixez bien (voir plus haut) et ne vous privez pas d’un éliminateur d’hyposulfite si telle est votre habitude pour abréger un peu le lavage.
Séchage
C’est là que la crise de nerfs devient plus probable.
Sorti de l’eau de lavage, votre film sur washi est suspendu (pinces à dessin) avec un lest ; il est très fragile mais merveilleusement droit et plat. Quatre heures plus tard vous n’en croyez pas vos yeux : c’est un torchon, gaufré, gondolé, un bord retroussé… En bref : inexploitable. Les conseils donnés par Lomig Perrotin sont sans effet réel (enrouler serré sur la bobine d’origine, mettre sous presse sous de gros livres) ; le papier washi mouillé puis séché a ce qu’on appelle du « springback » chez les emboutisseurs, et après deux jours sous presse il redevient une surface inapte au scan ou à l’agrandissement. Il faut absolument le travailler pour l’aplatir mouillé, mais pas question de l’appliquer contre une vitre comme on fait pour le papier baryté car il a une couche de gélatine non photosensible au dos et cette gélatine ne demande qu’à se coller définitivement à votre vitre. La parade que je viens de valider est la suivante : coupez votre film sec en tronçons, ce sera plus facile ; retrempez-le (avec une goutte de Photo Flo), trempez dans la même cuvette des bandes de cellophane que vous aurez préparées aux dimensions de vos tronçons (+ quelques mm de débordement) et appliquez contre votre vitre dans l’ordre la cellophane, le film dos vers la cellophane, et des maintiens en ruban kraft gommé sur toute la périphérie ; à chaque étape, un coup de rouleau en caoutchouc dur. Le lendemain, coupez à la règle et au cutter suivant les contours du film et ça se détachera tout seul en vous donnant un film sur washi parfaitement plan dans l'instant (mais qui reprendra un peu de défaut de planéité plus tard, ce qui n'est pas grave et ajoutera des "effets" dans vos tirages).
La cellophane (en fait une cellophane moderne qui est un film PET) doit être assez épaisse, impeccablement propre et exempte de rayures ou défauts ; pour cela j’ai utilisé celle des fourreaux dans lesquels un labo couleur me renvoie mes films en bandes non coupées (épaisseur 6,5/100 mm). Si vous n'avez pas cela sous la main, achetez chez un marchand de papiers en tous genres ce qui s'appelle "film fleuriste" : c'est la cellophane épaisse qu'utilise peut-être votre fleuriste pour envelopper les bouquets.
Qualité de la gélatine
La couche photosensible du Washi V développée montre un grand nombre de "piqûres" qui vont faire autant de points noirs au tirage ou au scan (mes scans sont évidemment retouchés en informatique). Lomig Perrotin ne conteste pas l'existence de ces défauts, inhérents à un process très artisanal : il fait le couchage de l'émulsion en vision infra-rouge et il a certainement beaucoup de mal à assurer la régularité et la qualité. Le Washi W est-il mieux maîtrisé (possibilité de travailler en lumière rouge à la production) ? C'est mon impression, mais la grosseur du fibrage peut masquer bien des défauts.
Problèmes mécaniques
Il s’agit là de mon expérience, encore une fois, et elle porte sur le film 120. Il est clair pour moi que ce produit n’est pas encore parfaitement maîtrisé (Lomig Perrotin attribue cela au caractère artisanal de son produit, mais je suis certain qu’il trouvera des voies de progrès).
Le problème essentiel me semble être celui de la rectilinéarité et du centrage de la bande de washi sur la dorsale ; il en résulte que la bande de washi doit serpenter quelque peu dès la mise en bobines (ou au cours des prises de vues) et qu’on a ensuite des bords retroussés qui auront tendance à prendre le pli (un problème de plus au séchage). On aura également des vues totalement décentrées, voire la possibilité que la bande de washi échappe au guidage latéral au niveau de la fenêtre de formatage avec comme conséquences une perte de planéité et des zones hors mise au point totalement aléatoires. Le phénomène est particulièrement aigu avec mes dos Bronica EC-TL, où le film n'est pas maintenu transversalement de manière positive. Les dos Mamiya RZ sont plus favorables du fait d'un "couloir" de guidage, mais là encore le washi veut serpenter et il est blessé par le couloir de guidage : quelques petits arrachements, mais au moins on a la certitude de trouver des images centrées.
A tout cela je crois qu'il n'y a pas de parade, mais en tous cas il ne faut pas aggraver les choses et la douceur s'impose : dans la mise en place de la bobine, dans l’avancement du film.
Et soyons certains que des progrès viendront ! En tous cas « le jeu en vaut la chandelle »… mais que de travail pour aboutir aux premiers clichés qui sont toujours surprenants !

