Je suis donc parti en emportant le SL66 sur le siège passager. La route n'en finissait pas. Plus je montais, plus le brouillard devenait dense. En arrivant à la fin des virages je me disais que le monde derrière moi ne devait plus exister, je regardais angoissé dans le rétroviseur et effectivement le paysage derrière moi avait disparu volé par les brumes éternelles qui règnent sans partage sur ce village perdu.
Bienvenue dans ce Silent Hill du Haut Doubs.

Je traverse le village à tâtons en me fiant à mes souvenirs comme pour la conduite sur neige pour enfin arriver à la maison de Serge. En entendant ma voiture le voici qui sort de sa maison habillé comme un samedi c'est à dire mieux qu'un vendredi et moins bien qu'un dimanche.
Le voici qui me gratifie d'un bonjour monsieur, car oui, il fait partie d'une génération où les adultes entre eux ne s’appellent pas par leurs prénoms sauf quand ils sont très proches ou de la même famille.
Serge je le connais depuis des années, un jour quelqu'un lui a parlé de mes modestes talents de dépanneur d'ordinateur bénévole et du coup j'étais intervenu pour régler certains problèmes et aussi pour lui construire à sa demande un site pour faire la promotion de ses livres.
car oui, Serges est écrivain.
Mais pas seulement ! Ferronnier de formation Serge a organisé de nombreux spectacles de théâtre dans le pays ainsi que des expositions. Aujourd'hui à un age où beaucoup se reposent, Serge continue de faire vivre les petits villages en organisant des animations culturelles. C'est ainsi qu'il passe beaucoup de temps à parcourir les routes pour solliciter les maires et autres autorités qui se réjouissent de cette aide inespérée.
A l'occasion de la sortie de son nouveau roman qui se vend très bien sur la région, Serge m'a demandé de lui fabriquer un nouveau site Internet, plus moderne, plus pro. C'est ce que j'aime chez lui, il sait ce qu'il veut et ne se laisse pas distancer par les technologies. Je lui ai bien sûr proposé de faire un portrait de lui pour illustrer ces nouvelles pages et vu que Serge collectionne les appareils photo (hélas tous moisis dans leur vitrine y compris le vieux Leica), il a tout de suite accepté de poser pour moi.
Serge me fait entrer chez lui en me faisant passer par la cuisine, je réveille en sursaut le gros chat noir qui ronronne au salon sous la pendule qui comme le temps dans cette pièce semble s'être arrêté. Au mur les souvenirs anciens se battent avec les photos récentes aux couleurs criardes des petits enfants qui comme tous les rejetons de seconde génération font la fierté de leurs grand parents.
Je lui propose de faire un premier portrait dehors que je ne montrerai pas tout de suite car une partie des sels d'argents de ce bout de film refusent de parler avec un vulgaire scanner et exigent un interlocuteur de plus haute volée, "on veut M Priox!!!" est devenu une revendication fréquente chez ces grévistes aux grains sauvages qui exigent d'être masqué par M Priox pour apparaître en public.
J'admire la capacité de Serge de rester immobile les yeux ouverts le temps de la pose, je le complimente dans ce sens ce qui le fait sourire et ajoute encore un peu plus de vie à ce cliché à venir.
Par la suite je lui propose de faire une photo dans son bureau d'écrivain à l'étage. Je le suis dans un escalier aux marches d'une inquiétante mollesse, sur des étagères se pavanent des vieux appareils photos ainsi que des caméras Bollex.
J'arrive dans son sanctuaire où des statues religieuses montent la garde devant des étagères portant vaillamment le poids d'une impressionnante collection de très vieux livre, je souris en pensant qu'il faudra que je pense de lui demander de me prêter le Necronomicon.
A cet instant je me rends compte que j'ai oublié de monter le trépied et que la pièce est une salle borgne éclairée par un soleil qui fricotte avec la brume mystique qui m'attend au dehors. Du coup je lui demande si je peux prendre une pile de vieux livres pour poser le Rollei lors de la prise de vue.
Serge s'installe derrière son bureau et d'un signe me fait comprendre qu'il est près.
Le gros chtac! du Rollei vient alors troubler le silence religieux de la pièce.

Nous continuons de parler de littérature et d'histoire locale et le voici qui me parle d'un nouveau projet qu'il a lancé, faire un inventaire des maisons du village qui ont été détruites et retracer leurs histoires. Je lui propose de me montrer l'une de ces photos et de poser avec.
Face à ce projet ambitieux mon Rollei respectueux incline son objectif devant Serges et sa photo pour leur donner plus de profondeur de champs, un geste d'humilité dont est incapable son prétentieux quoique célébrissime cousin suédois. Surpris par cette initiative de mon cher boitier je perds un peu le contrôle du cadrage, c'était mon premier Scheimpflug au SL66.

Après la prise de vue et d'autres discussions je passe prendre un café, la femme de Serge ne viendra pas nous voir elle est sujette à de graves crise d'arthrose, le temps froid et humide n'arrange pas les choses. Tout en sirotant ce noir breuvage préparé à l'italienne, nous faisons le point sur notre rencontre et sur les choses qu'il reste à faire avant la mise en ligne du site.
Nous n’avons pas fini de nous revoir !
Voilà, pour les aspects techniques j'en parlerai plus loin, plus tard, peut être...