Perso j'adore la 1ere et la 12e, mais cette dernière n'est raccord avec aucune autre. De même que celle avec le couple face à la mer, je n'arrive pas à la coller avec une autre ou entre deux autres. Comme Freddy, je crois qu'il y a plusieurs groupes possibles. Sinon tu parles de "faire sens", est-ce que tu sais celui que tu veux leur donner ? A moins que tu ne vises l'inverse, le non-sens, ce qui serait plus proche de l'idée d'errance ?
ramuntxo a écrit : l'idée est de voir si les images parlent d'elles-mêmes ; si je dois les accompagner d'un texte pour qu'elles fassent sens, soit c'est raté, soit ça devient un reportage... ce qui n'est évidemment pas le cas ici. [...] Je vais continuer à fouiller un peu (j'aime l'idée de constituer une série a posteriori, comme pour dégager un regard plus qu'un discours, plutôt que de faire des images en pensant à une série)
Sinon, toutes les séries contemporaines sont accompagnées d'un texte - cf ma longue opinion sur ce concept en dessous. Une série sans texte c'est inconcevable aujourd'hui, ça signifierait que tu oserais montrer des photos que tu as rencontrées et non provoquées - c'est, selon la doxa, toute la différence entre l'auteur et le dilettante, fut-il extrêmement doué. Ce qui était tout à fait acceptable pour un Henri Cartier-Bresson, l'est encore quand on s'appelle Daido Moriyama, mais est totalement inacceptable pour tout auteur qui a commencé sa carrière ces 30 dernières années.
En fait, indépendamment des qualités de tes photos - aucune n'est mauvaise - je pense qu'il manque encore quelque chose pour qu'elles soient un peu plus qu'une collection de photos urbaines. Bon, ce n'est que mon avis, je ne verrais aucune objection à ce que l'on me contredise énergiquement.
Ce qui suis la citation de Gekos est long et concerne plus la notion de "série" que les images de ramuntxo. Je résume donc mon propos pour les gens pressés : le hors série de Réponses photos rappelle la prégnance du concept de série photo - une suite de photos réfléchies et organisées qui laissent peu au hasard, se substituent à la maîtrise technique et à la simple collection "d'instantanés". Mais en ne se focalisant que sur la figure du photographe - comment construit-il une série ? - et en oubliant les intérêts de ce concept et les rapports de force dans lequel il s'inscrit, Réponses Photo n'explique pas pourquoi cette forme de (re)présentation photographique est encore aujourd'hui dominante.
Gekos a écrit :Même après avoir dévoré le HS de réponse photo sur les séries et l'editing, ça ne m'aide pas beaucoup pour juger de celle ci... (ou les miennes)
En fait le hors série - ou plutôt son intro parce que, en dehors du constat socio-historique que Jean-Christophe Béchet dresse, il n'y a vraiment aucune recette magique pour réussir une série - explique bien le changement de paradigme qu'a entrainé l'émergence de la notion de "série". La photographie, pour passer au rang d'art, a dû en quelque sorte s'approprier ce concept pour ne plus seulement être le "simple" résultat d'une maîtrise technique. La photo doit désormais être au service d'un message, d'une vision du monde qui va au delà de la simple capture du réel - ou de son agencement à travers le cadrage.
Après voilà, il y a la théorie telle que certains l'ont instaurée et son application. La notion de série c'est, aujourd'hui, la seule manière de légitimer et, de facto, de donner de la valeur à une suite de photos et à leur(s) auteur(s). Légitimer, parce qu'aujourd'hui presque tout le monde peut prendre des (bonnes) photos. Donner de la valeur, parce qu'en tant qu'oeuvre reproductible la photographie ne vaut, intrinsèquement, rien.
C'est le discours - autant sinon plus que ce qu'il y a à l'intérieur du cadre - qui donne sa valeur à la photographie. Et de discours il y en a plusieurs : celui de la photo, celui du photographe et enfin celui des critiques ou de ceux faisant autorité. Ce sont ces derniers qui vont donner de la valeur aux séries. Il n'y a qu'à regarder les exégèses de Christian Caujolle à propos des séries des jeunes talents SFR exposés à Paris Photo.
Après, la photographie contemporaine c'est comme le cinéma français et son rapport au film d'auteur, celui des origines. Au départ il y a eu ceux qui avaient quelque chose de nouveau à dire et qui, mieux, savaient comment le dire. Et depuis il y a tous ceux qui, parce que c'est le plus sûr moyen d'accéder au statut d'auteur et donc d'exister, font montre d'un académisme maniéré et copient leurs ainés.
Autour d'eux il y a tous ceux qui ont un intérêt à donner de la valeur à ces oeuvres - galeristes, critiques, collectionneurs, historiens, commissaires, conservateurs et bien sûr les photographes - pour se légitimer eux même dans leurs rôles de galeristes, critiques... Et donc de se faire une place au soleil, quelque part entre la nécessaire interdépendance qu'entretiennent tous ces acteurs et les rapports de force qui régissent cet univers concurrentiel.
Concrètement, en photographie, ça donne, entre autres, cette objectivité frontale (merci les Becher!) ou ces portraits de gens "bizarres"(merci Rineke Dijkstra!)...
Si je voulais être cynique, je dirais que la première chose avant de montrer sa série c'est de maitriser les codes - j'appelle ça l'académisme. La deuxième c'est d'écrire un discours et d'y "croire". La troisième, c'est de trouver quelqu'un faisant autorité - votre Christian Caujolle à vous - qui reprendra à son compte le discours ou plutôt qui trouvera son intérêt à le faire.
Et si tu ne veux pas t'inscrire dans cette démarche, rien de plus simple. Il te faudra d'abord définir une arène où te battre : lance ta revue, crée ton collectif ou ton agence de photographes, organise TON festival qui défendra TA vision. Ce qui implique, évidemment, de ne pas être seul. Ensuite, vient la question du manifeste si tu vu veux opter pour l'avant-gardisme. Si tu préfères l'évolution à la révolution, alors il faudra trouver un ancêtre mort ou vivant qui t’appuieras de son ombre bienveillante. Bref, faire comme John Szarkowski du MoMa a qui rescusité Lartigue pour mieux légitimer Garry Winogrand (1). Ensuite, il te faudra le soutien du marché de l'art : au moins de quoi exister financièrement.
Enfin, il faudra que le camp d'en face te perçoive comme une menace suffisamment sérieuse pour qu'il te permette, involontairement, d'accéder à la reconnaissance et donc d'exister. Sans ces deux facteurs - soutient financier et reconnaissance du camp adversaire - la controverse s'effondre d'elle même. C'est en quelque sorte la "recette" pour lancer une controverse artistique. Ce n'est pas propre à la photographie, ce fut la même chose pour le Free jazz ou la peinture impressionniste.
Alors pourquoi ce paradigme dure autant ? Parce que réunir toutes ces conditions et se lancer dans une telle aventure est bien trop coûteux aujourd'hui. Et qu'à la gloire on préfère souvent les victoires sans périls.
(1) Je détaillerai demain, sinon je n'en aurais jamais fini avec ce post.