
C' est le paradoxe du style documentaire. Walker Evans écrit :" L' art n' est jamais un document, mais il peut en adopter le style."
Il y a dans la photo documentaire une neutralité, une absence de l' auteur, qui s' efface devant la vérité dénuée d' artifice, la rue abandonnée à l' état brut. Pour les gens comme Sander, l' impersonnalité, le témoignage, le cliché anonyme accentuent la présence des modèles. Mais, c' est au détriment du travail de composition, d' interprétation, de mise en scène du photographe, qui s' efface devant la vérité crue des modèles.
On n' est pas dans le beau et dans l' esthétique, et les critiques habituelles ( c' est très beau, c' est génial, moi j' aurais cadré un peu à gauche ...) n' ont pas de sens. Ce ne sont pas des oeuvres de création , des oeuvres d' art alignées sur la peinture, mais des documents à valeur informationnelle.En poussant le paradoxe, un document a de l' utilité, l' art est inutile.
En plus, ces photos dérangent. On est loin de la photographie bourgeoise, conciliante et rassurante, des fleurs et des souvenirs de vacances. Par leur accumulation de fils, de tuyaux, de murs lépreux, par leur questionnement sur l' abandon de certaines " zones " , ces photos posent la question: " mais qu' est ce qu' il leur trouve de beau?".
Et faire du beau, ce n' est pas le but des artistes constructivistes qui cherchent à sortir des critéres traditionnels des Beaux-Arts.