Ce jour là, nous disons au revoir à deux de nos stagiaires, j'ai été le référent terrain de l'une d'elle.
Autour de mon cou la sangle à laquelle est accroché le SRT 102 acheté à JT sur la baie US. Son poids est une sensation plaisante, le 58mm 1,4 monté sur le boitier scintille d'une vie nouvelle sous le soleil qui sera témoin de cette scène cent fois répétée.
Ce soir nous disons au revoir à Pauline et à Laurie et si je suis sur le perron avec les collègues et mon minolta c'est bien dans le secret espoir de fixer ce moment sur la pellicule, la dernière TMAX 100 de mon stock.
Dans notre profession comme ailleurs, les gens passent, les liens se font et les promesses de retrouvailles s'étiolent devant la fugacité de nos convictions.
On parle beaucoup, on oublie le Laurent qui gesticule avec son appareil. ne vient-il pas tous les jours ou presque au travail avec à chaque fois un appareil différent...
Je cadre, je vise, je tente de composer des choses à l'arrache mais je suis géné par le soleil qui créé de trop violents contrastes entre le fond et le premier plan et qui mutile les visages des gens que je cherche à photographier.
Je veux quelque chose de vivant et de naturel alors je fais comme je peux, dans le viseur limpide et immaculé du SRT des prémonitions des échecs à venir apparaissent. Peu importe comme le requin je suis condamné à avancer même sans but pour continuer à vivre ma passion argentique.
Ce qui sortira de cette séance sauvage et pulsionnelle sera bon à jeter, pas besoin de passer sous l'agrandisseur pour m'en rendre compte, un simple visionnage à l'oeil nu des négatifs à la sortie de la cuve me permet de voir que les visages ont été mal exposés, la lumière venant de la rue n'a pas été captée par le srt qui s'est laissé abusé par l'ombre du perron.
ça je le savais, mais faire du naturel en mettant un pavé lunasix sous le menton des gens qui parlent...
Au final c'est encore cette photo qui me plait le plus pour l'instant qu'elle fixe, cet adieu sous forme d'au revoir.

La fille floue qui part n'est pas la partante, la stagiaire c'est celle qui est sur le perron dos tourné, ma stagiaire qui attend que tout le monde parte pour se retrouver seule avec moi.
Moi aussi j'attend ce moment, histoire de voir si je pourrai masquer ma propre tristesse par mes idioties habituelles.
Pour donner le change et éviter à mes propres yeux de scintiller, je lui dis des idioties du genre :
"tu peux pleurer que je fasse une photo chargée d'émotion ?"
Hélas pas besoin de lui demander ses yeux sont déjà bien brillants... Une autre photo loupée fixera ce moment.

Le reste de l'histoire m'appartient.